Quels parallèles pouvons nous établir entre la lutte anti-tabac des années 1980-90 et un possible contrôle de la publicité automobile? Et surtout, quelles leçons en tirer?
Il fut un temps où les produits du tabac étaient omniprésents dans la publicité et la culture populaire, comme c’est le cas aujourd’hui pour l’automobile. Il suffit de taper “cigarette ads” dans votre moteur de recherche pour se rendre compte à quel point nous avons progressé comme société en matière de santé publique. Rappelez-vous du Festival de jazz de Montréal Du Maurier et du tournoi de tennis Player’s Challenge ?
“Dans les années 1980, la pub de cigarette était partout”, rappelle Neil Colishaw de Physicians Smoke-Free Canada, l’un des principaux acteur de la lutte anti-tabac au Canada. Il semblait impensable d’y toucher mais c’est néanmoins ce qu’une poignée de militants, médecins et politiciens convaincus ont réussi. Le livre “Smoke and Mirrors” relate ce combat épique pour la santé publique et contre la publicité du tabac.
Un des premier succès du mouvement anti-publicité de cigarette fut la décision de la Toronto Transit Commission de refuser toute publicité de produits du tabac en 1979. Cette résolution fut prise suite à la pression de l’Association pour les droits des non-fumeurs. La Hamilton Transit Commission emboîte le pas l’année suivante. Puis les journaux, notamment le Globe and Mail, joignent le mouvement. Il est d’ailleurs intéressant de noter que le pionnier était un petit journal régional, le Kingston Whig-Standard, qui adopta une politique anti publicité de cigarette dès 1984. Les commandites sportives ont aussi été visées remportant le retrait de RJR–Macdonald’s Export “A” du ski amateur.
La campagne publicitaire de RJR Macdonald en 1986 pour la marque “Tempo” visant de toute évidence les jeunes a été un moment tournant en ralliant l’opinion publique en faveur de l’interdiction de la publicité pour le tabac. Il était en effet difficile d’accepter que les jeunes soit si clairement visés, tel que rapporté par CBC dans ce clip, “Selling smoking to ‘the video generation’ in the 1980s”.
La sous-ministre de Santé Canada à l’époque, Maureen Law, rappel que les ONG ont créé un climat dans lequel il aurait été difficile pour le gouvernement de ne pas agir envers la publicité du tabac. Un projet de loi privé soumis par Lynn McDonald (NDP) en 1986 a ouvert la porte à une législation qui allait à terme bannir la publicité du tabac.
L’industrie a répondu par une campagne de lobby et de relations publiques estimé à 2,5 millions $. Le principal argument invoqué par les fabricants était l’atteinte à la liberté d’expression. Mais le message clair et persistant des militants et du gouvernement fut que la santé publique prime sur le droit de faire la promotion de produits dangereux.
L’on prédisait aussi des pertes de revenus pour les médias et associations sportives. Mais cette interdiction ne fut pas catastrophique pour le secteur, comme a soutenu par la suite le président de Magazines Canada. Une autre crainte soulevée était le risque qu’une législation contre la pub de cigarette entraînerait des interdictions pour d’autres produits, ce qui ne s’avéra pas, comme en témoigna Suzanne Keeler de la Canadian Advertising Foundation.
L’industrie prétendait aussi que l’objectif visé par la publicité n’était pas de croître la taille du marché (ou même de maintenir le nombre de fumeurs) mais simplement de permettre aux manufacturiers de se distinguer de leur concurrents, ceci malgré un produit essentiellement homogène (comme le rappelle si bien le premier épisode de la série Mad Men).
L’industrie s’opposa pendant près de dix ans à la loi, allant jusqu’en cour suprême. Cette bataille a ralenti l’application de la loi mais ultimement la publicité pour le tabac a disparu.
Un des élément ayant contribué à la disparition des publicités pour le tabac fut l’imposition d’apposer un avertissement de santé sur les panneaux publicitaires. Devant cette restriction, les fabricants choisir de ne pas prendre des panneaux publicitaires.
L’industrie du tabac s’était doté d’un code d’autoréglementation concernant la mise en marché de ses produits dans les années 1970. Mais selon Mr. Colishaw, ce code était inefficace et servait de façade afin de retarder une réglementation.
Considérant que, contrairement à l’automobile, le tabac présente très peu, voir aucune utilité sociale, la comparaison à la publicité automobile peut être difficile à établir. Toutefois, l’expérience du mouvement anti-tabac peut donner quelques pistes pour l’émergence d’un encadrement de la publicité automobile:
Mettons-nous dans la peau d’un citoyen vivant en 2050 qui ouvrira son média de nouvelles, serait-il choqué d’être exposé à des publicités d’automobiles? Verra-t-on davantage de marketing pour la mobilité durable, comme cet excellent clip du metro de Washington ? C’est à espérer.
François Meloche, juin 2020
L’image est un collage de “Free Car Image” de Ivan Diaz et “Cigarette Butts” de Brian Yurasits, distribués sous licence libre sur Unsplash.